Le brouillard
« Le brouillard est bon, il récompense fidèlement celui qui le connaît et l’aime. Marcher dans le brouillard est plus beau que marcher dans la neige en la piétinant avec des chaussures de montagne, car le brouillard ne vous réconforte pas seulement d’en bas mais aussi d’en haut, on ne le souille pas, on ne le détruit pas, il se coule affectueusement autour de vous et se recompose après votre passage, il vous emplit les poumons comme un bon tabac,il a un parfum fort et sain, il vous caresse les joues, se glisse entre votre col et votre menton en vous picorant le cou, il fait entrevoir des fantômes qui s’évaporent quand vous vous approchez, ou surgir sous votre nez des silhouettes sans doute réelles, qui vous évitent et s’évanouissent dans le néant.
Dans le brouillard, vous êtes à l’abri du monde extérieur, en tête-à-tête avec votre for intérieur. Nebulat ergo cogito. »
Umberto Eco, « Comment voyager avec un saumon »