Trouver Merlin dans la forêt
Je
roulais vite. Il faisait chaud. J'allais vers l'Océan. Mais je savais qu'il ne
pouvait habiter que dans une forêt. Les noms d'une ville, d'un lieu-dit, une
vague direction sud-ouest. J'avais le projet d'acheter une carte détaillée dès
que j'approcherais de mon but.
Mais comment trouver Merlin dans la forêt ? Il
est emprisonné par des murs d'air invisibles. On passe tout près par hasard, on
peut l'entendre s'il désire nous parler, mais on ne le voit pas. La vitesse
m'empêchait de penser. J'étais tout instinct. Je faisais corps avec cette
vieille voiture aussi fragile que ma propre enveloppe. Ses grincements étaient
ceux de mes articulations. Elle chauffait comme bouillait ma poitrine. Elle
vibrait comme je tremblais. Je quittais bientôt la grande route et traversait une
ville sans m'arrêter.
Puis un village surgit de mes souvenirs. J'étais déjà passé ici quelques années plus tôt et sans raison apparente, j'avais éprouvé un
étrange sentiment de bien-être. J'avais eu du mal à quitter ce village, j'avais
traîné dans les boutiques et sur la place de l'église, sans comprendre ce qui
me retenait.
Mais cette fois je le traversais sans m'arrêter. Raisonnablement,
il aurait pourtant fallu me procurer une carte routière. Avais-je encore ma
raison ? Certainement pas. Merlin est fou, je l'étais aussi. Je pris une petite
route sur la gauche. Je traversais des champs, puis je vis les arbres
approcher. Ma voiture me portait vers la forêt.
Plusieurs fois j'ai tourné à
droite ou à gauche, sans jamais hésiter, jusqu'à la pancarte du lieu-dit.
J'avais trouvé le lieu magique. Il y avait quelques maisons, poussées comme des
champignons sous les feuillages. Quelques autres étaient plus anciennes et
avaient pris racine.
Mais la tour de verre, la chambre cachée au creux d'un chêne, la prison d'air devait rester invisible à mes yeux. Merlin m'avait parlé, puis il avait disparu. Je m'arrêtais, sans couper le moteur. Les rayons de soleil tombaient en baguettes dorées sous les branches.
Un chat noir et blanc, devant une porte, faisait semblant de ne pas me voir, tout occupé à lécher sa patte droite. Je m'enfuis. J'avais froid, j'avais faim.